Ah, les AG du Mirail !

Pour la huitième année consécutive je suis étudiante au Mirail (ouais, ça nous rajeunit pas), la fac la plus gauchiste et engagée de France, naguère qualifiée de « poubelle » par France 2. J’ai vécu différents mouvements, je me souviens de 2009 et 2010 particulièrement. J’ai manifesté. J’ai bloqué. J’ai participé à ses AG fleuves qui durent 5-6 heures et vous donnent envie de sortir faire la révolution. J’ai bu des bières en dansant dans l’amphi 9, j’ai participé à un atelier d’écriture à 4h du matin dans l’Arche avec celui qui est maintenant mon directeur de thèse. Clairement, le Mirail a été pour moi un fabuleux lieu de mon éveil militant, mais aussi de vie. Depuis quelques années, la fougue politique de la fac semblait en sommeil, ça correspondait à mes années de Master, c’était sérieux, comme si le Mirail devenait « adulte » et « responsable » avec moi. Ces deux dernières années j’ai donc cherché le militantisme ailleurs et l’ai trouvé dans le monde magique des internets. Je suis devenue une féministe forcenée et j’ai découvert cette magnifique chose qu’est l’intersectionnalité *cœurs dans les yeux* Bref, une autre façon de militer et de voir le monde.

J’ai suivi de plus loin le mouvement naissant de cette année, je ne me sentais pas concernée par la question du blocage étant donné que je n’ai plus de cours en thèse, ou moins légitime à donner mon avis dessus en tout cas. Je me disais que j’avais déjà participé, que c’était à d’autres de le faire. Je suis allée à une AG pour voir et j’ai été choquée par les tensions terriblement violentes que j’y ai trouvé. Quoi ? Deux jours de blocage et les gens se foutent sur la gueule pour ça ? Je ne sais pas si j’idéalise les anciens mouvements (ce truc de vieille conne qui consiste à dire que « c’était mieux avant ») mais j’ai trouvé les gens super vénères, le contenu des interventions sans grande substance politique, bref j’ai été déçue. J’ai vu des gens voter « contre » une motion appelant à la solidarité avec Ferguson, « contre » plus de moyens pour l’université. Ces même personnes qui nous qualifient d’anti-tout et qui ne nous proposaient comme solutions alternatives au blocage qu’un petit « il faudrait que chacun·e s’informe ». Je me suis promis de ne pas y retourner. C’est peut-être lâche, c’est peut-être égoïste, il se trouve que depuis que je m’intéresse à la cause des femmes (de façon large) j’ai choisi de me ménager, parfois. Et puis j’ai entendu parler d’une AG féministe, j’y suis allée, j’ai vu des femmes prendre le mouvement à bras le corps, ses qualités mais aussi ses défauts. J’ai vu de la réflexion. Malgré ma promesse, je suis retournée en AG. C’était la dernière fois.

• Quand un jeune homme prend la parole pour dire qu’on le traite de « tarlouze » et que vous riez, ou le rabrouez, vous avez un comportement homophobe. Quand vous traitez vos adversaires politiques d’enculé·es, vous avez un comportement homophobe.
• Quand on vous demande de féminiser un maximum votre vocabulaire et que vous rechignez, râlez, vous avez un comportement sexiste. Quand l’AG met en place une double liste pour les tours de parole afin de favoriser l’expression des femmes et que vous criez au scandale, vous avez un comportement sexiste.
• Quand une femme noire prend la parole pour dénoncer le racisme structurel et l’inégalité des chances en prenant comme exemple l’assemblée qui est presque exclusivement blanche et que vous poussez les hauts cris, vous avez un comportement raciste.
• Quand on vous demande à plusieurs reprises de faire moins de bruit pour permettre la traduction des débats en langue des signes et que vous n’écoutez pas, vous avez un comportement validiste.
• Quand une femmes trans prend la parole en parlant d’elle au féminin et que vous pouffez, vous avez un comportement transphobe.

Ce n’est pas du « fascisme du langage » comme je l’ai entendu mardi dernier, c’est une question de respect. Et quel respect ? Celui des oppressé·es, des laissé·es pour compte, des écrasé·es du système. Ce respect que nous demandons n’est pas l’apanage des hommes blancs cis-hétéros valides. Il me semblait que c’était ce pour quoi nous nous battions, qu’on écoute les petit·es, qu’on arrête de dénigrer leurs requêtes, leurs sentiments, leurs vies. Alors voilà, je n’irai plus aux AG du Mirail car je n’ai pas besoin d’aller là-bas pour m’infliger de la merde intolérante, la télé remplit très bien cet office. Et parce que je n’ai pas envie d’avoir cette image là de mes « collègues » étudiant·es, celle de jeunes personnes déjà aigries, intolérantes et dénuées de la moindre bienveillance envers leurs semblables. Je continuerai à suivre, de loin, ce mouvement, qui, même s’il ne parvient pas à ses fins politiques, sera au moins, j’en suis sûre, un merveilleux moment de vie pour tou·tes celleux qui y prennent part et une très bonne école politique.

Luttez, exigez, gagnez !
LL